PÉRIGNAC : PAICHEL ET LORD WALTER BACON

C’est ici que nous raconterons quelques aventures tellement insensées, pour ne pas employer le mot « stupide », en espérant que notre missionnaire obtiendra la palme d’or du plus charmant clown naturel puisqu’il va en mettre plein la vue à ceux qui s’amuseraient à épier ses moindres faits et gestes. Les Maîtres de l’invisible veulent que Paichel ne laisse aucun doute concernant son titre de missionnaire insensé puisque le sinistre Alba ne pourra faire autrement que de se laisser berner par le superbe rôle de son ancien vigneron en s’imaginant qu’un tel individu est le plus grand imbécile de la Terre. Voici donc : Paichel et Lord Walter Bacon.

Monsieur O’Meara, pâtissier de métier, suivit un long corridor à peine éclairé par des ampoules électriques de 40 Watts, pour enfin se retrouver devant une porte à demi-entrouverte. Notre visiteur la referma discrètement afin de pouvoir lire la petite plaque jaunie sur celle-ci :

PROFESSEUR PAICHEL
PARAPSYCHOLOGUE

Un petit frisson traversa alors l’esprit de monsieur O’Meara. Il n’aimait pas devoir se trouver dans un immeuble où des gens s’amusaient à jouer avec des esprits. Toutefois, dans son cas, il valait mieux s’adresser ici plutôt qu’à son psychiatre. Il frappa donc des petits coups sur le coin poussiéreux de la porte mais personne ne l’invita à entrer. Il frappa encore plus fort et s’introduisit la moitié du corps dans l’entrée de ce bureau, sans doute hanté par des “êtres invisibles”. Il vit uniquement un homme assis sur une grosse chaise en cuir usé et qui dormait en saccadant des petits, moyens et gros ronflements. Le visiteur fixa un moment les longues jambes qui reposaient sur une pile de documents ramassés en tas sur un coin du pupitre et se mit à sourire en découvrant les orteils qui sortaient des gros bas de laine. Décidément, la profession de parapsychologue n’était pas des plus lucratives. Le client en profita pour donner un rude coup de poing sur un classeur situé tout près de la porte, pour entendre aussitôt un bruit bizarre au fond de la pièce. Le professeur Paichel venait de tomber de sa chaise. Il se releva en gémissant :

- Sacré nom d’un chien, je dois être encore victime d’un esprit farceur !

Lorsqu’il vit le gros monsieur souriant, Paichel s’empressa de remettre ses vieux souliers vernis et reprit ensuite son “air professionnel” pour demander à son client de s’asseoir.

- Mais je vous en prie mon cher monsieur...

- O’Meara, Brian O’Meara monsieur le professeur. Mais puisque je n’ai pas l’habitude de ce genre de consultation, permettez-moi de vous exposer sans attendre ce qui se passe.

- Je vous écoute monsieur O’Meara : Je suis toute ouïe...

- Oui ? C’est très aimable de votre part professeur puisque personne ne semble me croire lorsque j’affirme posséder un chien qui s’amuse à me réciter des fables et des pensées lorsqu’il se sent de bonne humeur. Croyez-vous qu’il puisse s’agir d’un cas de PARAPLUIE XYCHOLOGIE?

- De parapsychologie ? Oui, c’est possible. Mais dites-moi monsieur, votre chien vous parle télépathiquement : Je veux dire par la pensée ?

- Non, non professeur ; je viens de vous dire que mon chien Walter me raconte des fables horriblement simplistes et me matraque de pensées “vachement” bêtes. Je ne vais vous citer que sa dernière pensée qui devait en principe me consoler d’être pâtissier :

“Mieux vaut se spécialiser dans les tartes et les beignets
Que de vouloir changer notre monde imparfait”

Un petit sourire vint alors étirer les lèvres du sérieux professeur Paichel. Son client ajouta :

- Je ne pense pas professeur que je sois le genre à faire des ALLO CINATIONS car moi je fais des pâtisseries et non de POUX AIME d’écrivains. Mon chien par exemple se pense la RIEN CARNATION d’un “Lord anglais” qu’il m’a déjà dit.

- Vous me présentez un cas assez intéressant monsieur O’Meara, lui dit alors le professeur amusé. Ainsi, je crois comprendre que vous avez un chien savant qui est en mesure de parler comme les humains et qui se prend en plus pour la réincarnation d’un Lord anglais ?

- Oui professeur, c’est exactement ça.

- Je vois. Je ne pense pas toutefois que le fait de pouvoir “parler” soit, en ce qui a trait à votre chien, une preuve de réincarnation, de possession ou même d’un cas relié à un phénomène paranormal. Tous les animaux parlent mais uniquement de rares individus peuvent les comprendre. Devons-nous qualifier d’extrasensoriel ou au-delà du normal ce qui est simplement normal mais peu commun monsieur ? Toutefois, un chien qui récite des fables, des pensées et des poèmes comme vous dites, dépasse de beaucoup l’intelligence normalement admise pour un représentant de cette espèce.

- Walter est intelligent d’après vous professeur, même s’il passe son temps à raconter des bêtises ?

- Oh ! Si monsieur, s’empressa de répondre Paichel en souriant.

- Puis-je alors vous le confier pour quelques mois ? Ce chien m’embête depuis que je l’ai acheté au marché aux puces. Donc, si vous avez envie de l’étudier, je vais vous fournir tout ce qu’il faut pour le mettre de bonne humeur, sans quoi il va demeurer silencieux comme une tombe.

- Ça m’intéresse comme proposition monsieur O’Meara. Je pense que quelques mois me fourniront de précieux renseignements sur le comportement “normal ou anormal” de votre Walter. Mais sans vouloir vous paraître déplacé, il serait peut-être utile de parler de mes honoraires ?

- Je ne suis pas tellement riche professeur !

- Et moi, je ne suis pas tellement exigeant monsieur O’Meara, lui fit savoir le maigre parapsychologue en se frottant les mains.

Les deux hommes s’entendirent pour une modique somme que notre pauvre Paichel aurait dû tripler d’ailleurs s’il avait su que Walter ne mangeait que des filets mignons, ne buvait que les meilleurs vins et ne dormait que dans un bon lit douillet !!!

Quoi qu’il en soit, un contrat est un contrat et monsieur O’Meara lui dit avant de le quitter :

- Je vais vous amener Walter demain matin si vous n’y voyez pas d’objection professeur.

- Hum, je préférerais dans trois jours monsieur car j’ai quelques dossiers d’esprits frappeurs à régler avant d’aménager dans cette magnifique maison de campagne que je viens tout juste de m’acheter. J’y serai plus à l’aise pour étudier votre chien.

- Oui, bien sûr professeur ; vous allez surtout avoir le temps de DIAGOLER avec lui sans témoins. Ce Walter m’oblige à lui répondre mais comme personne dans mon entourage ne sait parler “le chien”, vous pouvez vous imaginer la réaction des gens lorsqu’ils m’entendent parler aux murs de ma boutique n’est-ce pas ?

- Oui, je pense qu’il est préférable de dialoguer avec des gens qui peuvent nous comprendre, quoi que ce n’est pas la langue qui empêche souvent les individus de s’entendre entre-eux !

- Alors à vendredi professeur, lui répondit le gros monsieur en lui serrant la main.

- À vendredi soir monsieur O’Meara, s’empressa de répondre Paichel en le reconduisant jusqu’au corridor. Puis, n’oubliez pas de m’apporter sa nourriture et sa litière.

- Sa... oui, tout sera dans la boîte que je vais vous apporter. Puis pendant que j’ai un peu d’argent sur moi professeur, je vais vous payer le premier mois de pension de Walter.

- Oh ! Ce n’est vraiment pas pressé monsieur ; mais... si vous insistez !

- Oui, oui, j’insiste. Tenez professeur.

Paichel regarda ensuite son client s’éloigner rapidement en se disant à voix basse: “Il y a encore de très honnêtes gens sur notre pauvre terre.”

Le professeur Paichel venait de s’acheter une petite propriété dans le Dorset. Si ce comté était l’un des plus beaux coins d’Angleterre et même de toute l’Europe, le “cottage” de notre homme donnait cette impression d’être une sorte de gros poulailler orné de lourds volets usés et dressé au sommet d’une étrange colline. En effet, non loin de la maison de Paichel se trouvait un immense motif datant de l’ère romaine et qui représentait un “géant brandissant un gourdin”.

Le drôle de professeur adorait ce comté de Dorset et surtout les vestiges laissés là par les Celtes, les Romains, les Angles, les Jutes, les Saxons et enfin, par tous ces nomades qui venaient peut-être d’Orient ou du bout du monde... Assis sur le sommet de la colline, le parapsychologue se plaisait à imaginer tous ces gens qui tissèrent les premiers siècles de cette Angleterre jusqu’alors peuplée d’herbes et de grandes forêts vertes.

La nuit était belle et juste assez fraîche pour dormir. Paichel en était à sa première journée au cottage depuis qu’il l’avait acheté par catalogue. Une toute petite annonce dans un journal de Londres avait suffit à intéresser notre pauvre homme. Il vit une photographie de cette coquette maison de campagne et l’acheta sans plus de cérémonie. Le vendeur aurait dû l’avertir que cette photo datait de trente ans car Paichel découvrit bientôt le triste état de cette propriété après trente ans d’abandon. Plus personne n’habitait cette vieille maison depuis qu’on la disait “hantée par des esprits frappeurs”. C’est ainsi que la valeur monétaire de cette demeure devint si ridicule qu’elle fut finalement à la portée de bourse du pauvre professeur. Il se prépara donc à recevoir la visite de ces frappeurs de murs inconnus en s’étendant tout habillé sur un lit encore recouvert de poussière.

Le parapsychologue ne pouvait s’empêcher de songer au chien du brave Brian O’Meara. Et s’il fallait que l’animal refuse de parler ou pire encore, qu’il s’agisse d’un simple canular ? Ce ne serait pas la première fois que la “science des phénomènes inexpliqués” se laisse tromper par de faux esprits ou encore impressionner par des fantômes tricotés de toutes pièces. Heureusement qu’il se trouvait dans ce milieu “ésotérique” d’honnêtes professionnels pour venir en aide aux gens, victimes de manifestations spirites. En fait, Paichel n’était pas du tout intéressé aux phénomènes paranormaux, il préférait de loin, les gens en chair et en os qui voulaient bien rémunération ses services. Mais ce soir-là, le professeur Paichel allait devoir s’intéresser malgré lui aux étranges esprits de cette vieille demeure.

La lune brillait au-dessus des collines et le vent semblait vouloir danser entre les branches des arbres. Celles-ci se balançaient exactement comme si des mains invisibles voulaient les diriger vers un coin précis du toit de la maison. Paichel entendit distinctement les coups de fouets donnés à intervalles réguliers. Toutefois, pourquoi devait-il s’étonner d’entendre le sifflement du vent et les frottements saccadés des branches sur son toit ? Après tout, ces arbres se trouvaient si près de la maison, que ces bruits devaient être considérés comme tout à fait NORMAUX. Paichel fixait le vieux foyer dans lequel crépitait les dernières braises du soir. Mais bientôt, notre homme remarqua un léger mouvement dans un soufflet déposé par lui près du foyer. L’objet ancien se mit à s’actionner de lui-même et le feu reprit alors entre deux bûches pourtant déjà calcinées. Puis, c’est sous la couchette que se fit entendre un premier coup sec. Il annonçait sans l’ombre d’un doute la “présence d’esprits frappeurs”. Notre homme s’empressa de descendre de son lit dès qu’il le vit se promener dans la pièce. Puis les murs se mirent à trembler autour du pauvre observateur impuissant. Des craquements de forte intensité semblaient provenir des poutres du plafond mais apparemment, il pouvait s’agir d’autres coups donnés par ces esprits en colère. Ils devaient l’être sûrement pour se faire aussi bruyants.

Le professeur cru bon de crier : “Ça va faire les enfants ; arrêtez-moi tout de suite ces stupidités.”

Étrangement, les paroles prononcées par Paichel eurent le même effet que l’eau bénite sur un diable. Tout redevint calme sans que notre homme puisse en comprendre les raisons. Cette paix devait toutefois durer le temps d’une minute car ce bal de nuit reprit avec plus de violence. Des objets volaient de partout et Paichel se défendait en criant cette fois : “Écoutez-moi bien vous autres ; ce n’est pas en me lançant des trucs derrière la tête que vous obtiendrez mon départ comme les anciens propriétaires de cette maison. Je veux savoir ce que vous faites ici bande de petits garnements ou bien j’en informe un exorciste qui saura bien vous obliger à quitter cette demeure.”

Alors, les manifestations cessèrent à nouveau mais un bruit sec se fit entendre sur le mur situé en face du professeur. Il comprit rapidement qu’il pourrait communiquer avec ces esprits frappeurs en autant qu’ils acceptent de se servir du code universel de communication primitive. Il s’agissait simplement de frapper un coup “pour dire oui” et deux coups “pour dire non”. Ainsi, le professeur venait d’entendre un “oui” à la communication. Il serait trop long de suivre une telle conversation bruyante puisque ces esprits devaient dire oui ou non aux innombrables questions du parapsychologue. Le patient professeur compila toutes les réponses affirmatives et voici ce que donna cet interrogatoire. Il dura d’ailleurs une bonne partie de la nuit.

- Êtes-vous des esprits frappeurs ?

- Oui.

- Êtes-vous des humains ?

- Oui.

- Vous êtes donc des animaux ?

- Oui.

- Vous me prenez pour un imbécile ?

- Oui.

- Vous êtes également imbéciles ?

- Oui.

- Vous savez dire non ?

- Oui.

- Vous savez dire oui ?

- Oui.

- Ainsi vous dites seulement oui ?

- Oui.

- Il faut me donner votre nom.

- Non.

L’éminent professeur ne pouvait s’attendre à une fébrile conversation de la part des esprits primitifs. Il finit tout de même par demander aux frappeurs de murs s’ils étaient des “enfants”. Il attendit un long moment sans toutefois entendre le moindre bruit. Il répéta plusieurs fois sa question mais les esprits refusèrent de répondre. Comme notre homme était désireux de savoir si ce silence était dû au simple départ de ses invités invisibles, il posa d’autres questions insignifiantes. Les esprits répondirent à celles-ci sans la moindre hésitation. Alors Paichel dit d’une voix douce et paternelle :

- Vous êtes des enfants mais vous craignez quelque chose n’est-ce pas ?

- Oui.

- Vous n’êtes pas des esprits frappeurs mais des enfants qui ont habités cette maison il y a longtemps?

- Oui.

- Vous craignez que je puisse vous punir de quelque chose ?

- Oui.

Le professeur Paichel n’obtint rien de plus cette nuit-là. Il vit bientôt un magnifique levé du soleil étendre ses rayons bénéfiques sur cette terre pas toujours en paix. Il devait y avoir dans le monde des millions de gens qui ne pouvaient comme notre pauvre homme sortir de leurs maisons pour embrasser le sol. Cette étrange habitude de Paichel d’embrasser la terre mouillée par la rosée du matin ne pouvait s’expliquer, sans doute, que par un mouvement inconscient. Il en avait prit cette habitude sans devoir être pour cela “musulman”. Il embrassait ainsi le sol depuis qu’il avait l’âge de raison. Quoi qu’il en soit, le professeur sortit de son cottage afin de marcher sur les collines. Il fumait sa longue pipe (héritée d’ailleurs d’un vieil ami écossais) et méditait en fixant la beauté des arbres, des fleurs, des pierres et des ruisseaux. Paichel réfléchissait et une auréole de fumée blanche s’élevait au-dessus de sa tête dénudée chaque fois qu’une “pensée surgissait”, car plus il pensait, plus il pipait. Il se promena ainsi pendant des heures mais la fatigue de sa nuit blanche vint le sortir de sa contemplation solitaire.

- Il vaudrait mieux dormir un peu, se dit-il en s’étendant sous un arbre. Je suis persuadé que ces esprits frappeurs vont revenir la nuit prochaine afin de répondre à mes... à mes...

L’homme s’endormit sans pouvoir terminer sa phrase. C’est alors qu’il fit un rêve fort étrange.

Le parapsychologue vit tout d’abord un nuage bleu qui s’évaporait lentement avant de laisser voir la jolie maison rose entourée de magnifiques jardins. Juste derrière le cottage se trouvait un champ d’où un gros ballon se préparait à quitter le sol. Quatre enfants tenaient les amarres de la nacelle pendant qu’un homme leur criait : “Ne craignez rien mes poussins, si je parviens à franchir la Manche avec mon gros ballon, les gens vont enfin réaliser l’importance de mon aérostat. Ah ! Si mon ami Julius Never me voyait en ce moment, il n’hésiterait pas à écrire un article sur “l’intrépide traversée de la Manche par l’illustre inventeur du ballon soufflé à l’air comprimé !”

Paichel entendait alors la voix plaintive d’une fillette qui tenait l’une des cordes en suppliant l’insensé d’abandonner son projet. Puis les trois garçons dont l’âge devait varier entre sept et douze ans appuyaient les supplications de leur soeur d’une dizaine d’années. Mais l’homme criait en jetant un sac de sable par-dessus la nacelle : “Je vous promets de revenir avant une semaine mes poussins. Je compte sur toi Peter pour veiller sur tes frères et sur ta soeur pendant mon absence. Puis, je vous jure sur la tête de ma mère que je reviendrai dans ce ballon qui me fera reconnaître comme inventeur. Je vais pouvoir rembourser mes créanciers et même vous payer des études. Il faut à présent lâcher les cordes à mon signal.”

Les enfants pleuraient mais l’homme ému savait qu’ils ne pourraient le convaincre d’abandonner son projet. “Lâchez tout...” Le ballon s’élevait lentement dans le ciel mais les enfants criaient : “Reviens oncle Sonneper ; reviens...”

Le dormeur vit ensuite l’image des enfants s’évanouir un moment pour ensuite laisser place à celle d’un homme hanté par ses remords. C’était le spectre gris de l’oncle Sonneper. Il errait dans la brume en gémissant : “Mes pauvres poussins, mes chers enfants ; comment vous expliquer que je n’ai jamais franchi la Manche mais simplement disparu pour vous forcer à accepter notre séparation! J’étais malade et vous étiez trop jeunes pour voir un homme mourir de la RAGE (1). Je croyais que des âmes charitables se seraient occupées de vous après mon départ mais malheur... malheur, c’est vous qui êtes morts avant moi. Comment pourrais-je être délivré de mes remords mes poussins innocents !”

(1) Les symptômes de la rage peuvent provoquer chez le malade, une salivation excessive, paralysie de la gorge et la peur de l’eau. Par la suite, apparaissent des convulsions, conséquences de l’infection au cerveau.

Le rêve du professeur prit bientôt l’aspect d’un véritable cauchemar. Il vit les quatre enfants assis exactement dans la même pièce où se sont manifestés les esprits frappeurs. Ils se chauffaient en silence devant le foyer et lentement leurs yeux s’alourdirent dangereusement. Une étrange fumée, semblable à de la graisse répandue sur du bois, sortit rapidement du foyer. Les enfants s’endormirent pour toujours puisque cette fumée était mortelle. Un homme entra bientôt et vit les victimes allongées sur le plancher de pierre. Paichel ne pouvait savoir si c’était le jour ou la nuit et encore moins calculer le temps écoulé entre la mort des enfants et l’arrivée de cet étranger qui souriait en disant : “Ils ont tout de même accepté ce bois que j’avais trempé dans le poison qu’il ne fallait pas chauffer et respirer. À présent que mon voisin n’a plus d’héritiers, je pourrai enfin acheter de ses créanciers cette propriété qu’il a toujours refusé de me vendre. Ce John Sonneper est sans doute mort des suites de cette morsure faite par ce goupil ( renard ) malade que j’avais enfermé dans son atelier il y a plusieurs mois. J’ai bien apprécié voir son nom dans la page nécrologique du journal de ce matin !” L’homme sortit les bûches empoisonnées du foyer et les remplaça par du bois calciné qui provenait de son foyer. Ainsi, il fit disparaître les preuves qui pouvaient le compromettre.

Le professeur se disait dans son sommeil : “C’est évident que ce voisin a tué tous les membres de cette famille.” Le rêve se poursuivit avec la scène du pauvre oncle Sonneper qui gémissait sur un lit d’un sanatorium : “Je veux voir mes neveux et ma nièce. Il faut leur dire que j’ai menti, que j’ai fais deux kilomètres seulement dans les airs avant de redescendre dans un champ, que je n’ai jamais eu l’intention de traverser la Manche.” Un infirmier au regard doux et complaisant disait en l’examinant frissonner : “Monsieur Sonneper, vous m’avez fait promettre de vous donner des nouvelles de vos neveux et de votre nièce dès qu’ils seraient adoptés par d’honnêtes gens. Je dois vous apprendre tout de même qu’ils sont morts dans leur sommeil et de façon inexpliquée...”

Paichel s’éveilla en sursaut dès qu’une corneille vint croasser tout près de lui. Elle s’était installée sur une branche et semblait crier à notre homme : “Dis donc le paresseux, tu ne pourrais pas aller dormir ailleurs !”

Le professeur Paichel se leva et reprit sa marche tout en réfléchissant à ce rêve fort révélateur. Il était non seulement une “vision” des événements qui expliquaient la présence de ces esprits frappeurs mais surtout un “appel” à l’aide. En effet, ces enfants attendaient encore leur oncle Sonneper et faisaient fuir tous les gens qui osaient occuper la propriété de cet inventeur. En tant que parapsychologue, Paichel réalisait l’importance de libérer ces jeunes esprits qui hantaient un lieu inutilement. Il fallait trouver un moyen de les convaincre de quitter ce cottage. Notre homme passa toute la journée à y réfléchir. Le parapsychologue aurait bien aimé “lire” les coupures de journaux de l’époque mais ce farfelu professeur ne savait ni lire, ni écrire. Toutes ses connaissances de la parapsychologie lui venaient de ses propres et longues expériences dans ce domaine particulier. Lorsqu’il passa devant le petit poste de police du comté, le professeur s’y arrêta dans l’intention d’obtenir si possible, des informations sur ce monsieur Sonneper. Un grand gaillard moustachu lui dit avant même qu’il se présente :

- Ah ! C’est vous le quarantième nouveau propriétaire de la maison hantée ? Je pense que vous venez vous plaindre du bruit de vos locataires n’est-ce pas ?

Paichel se gratta la barbiche rousse en examinant ce policier qui semblait bien connaître cette maison hantée. Son rire toutefois suffisait à faire frémir notre homme à présent face au petit comptoir des “plaintes”.

- Je ne viens pas porter plainte monsieur l’agent lui fit savoir le professeur agacé par ce rire idiot de l’autre. Je vais bientôt me débarrasser de ces esprits ; mais c’est pour cela que je viens ici. On m’a dit qu’un certain Sonneper habitait cette maison quelques années avant qu’elle ne devienne hantée par des esprits frappeurs. Vous me seriez d’une grande utilité monsieur, si vous pouviez me parler de lui.

- De Sonneper ? Personnellement je n’ai jamais connu ce type qu’on disait inventeur. Mon père aurait été en mesure de vous parler de lui puisqu’ils étaient des grands amis, vous savez! Je me souviens uniquement de cet article de journal qui parlait de l’étrange disparition de ses trois neveux et nièce. On dit qu’ils auraient abandonné le foyer afin d’aller retrouver leur oncle en Écosse.

- Ah bon ! Se contenta de marmonner le professeur étonné. Mais la police a dû faire des recherches à l’époque monsieur ? Je veux dire, que des enfants ne peuvent disparaître ainsi sans laisser le moindre signe de vie ?

- Attendez monsieur, je vais sortir le dossier qui n’a jamais été classé tout à fait je pense. Mais entre-nous, vous supposez comme moi que ces esprits pourraient être ceux de ces enfants qui hantent cette maison n’est-ce pas ?

Le policier fit un clin d’oeil au visiteur avant de disparaître dans une autre pièce. Il revint en tenant un dossier poussiéreux mais le garda jalousement dans sa main en disant :

- Je ne suis pas censé vous le montrer monsieur... ?

- Professeur Paichel, parapsychologue de profession monsieur l’agent.

Le policier fixa avec intérêt la petite carte d’affaire de l’étranger et fit ensuite un large sourire tout en opinant de la tête. Il déposa le dossier sur le comptoir en examinant Paichel d’un air sévère.

- Vous croyez pouvoir résoudre le mystère qui entoure cette maison hantée monsieur le professeur? Vous n’avez pas souri lorsque je vous ai déclaré que ces esprits pouvaient être ceux de ces enfants disparus n’est-ce pas ? Est-ce à dire que vous me croyez plus “sensé” que mes supérieurs ?

- Je suis parfaitement d’accord avec votre hypothèse monsieur l’agent... ?

- Frank Gromwell

- Oui, j’avoue monsieur Gromwell que ces esprits frappeurs sont effectivement de pauvres enfants qui errent dans cette maison. Mais c’est tout ce que je sais pour l’instant. Peut-être que ce dossier pourrait m’aider monsieur !

- Nous aider professeur, oui “nous” aider. Si vous acceptez de me prendre comme assistant, je vais vous montrer le dossier. Vous savez professeur, j’ai passé plusieurs nuits dans cette maison des Sonneper mais les esprits frappeurs ont toujours refusé de répondre à mes questions. Je suis fasciné par ces phénomènes spirites et surtout par les “médiums”. Vous devez l’être car vous ne seriez pas ici à me demander un dossier. Vous feriez comme tous les anciens propriétaires qui ont fui cette maison en pleine nuit et sans jamais y revenir.

- Sans doute monsieur l’agent Gromwell. Je veux bien vous prendre comme assistant si évidemment vous ne craignez pas les esprits frappeurs.

Le policier ouvrit rapidement le dossier et montra plusieurs articles de journaux ainsi que des photographies de l’inventeur du ballon à air comprimé. En examinant l’une des photos noircies par le temps et montrant le pilote qui posait fièrement devant son gros ballon, le professeur Paichel reconnut aussitôt le personnage de son rêve. Il prit la photographie entre ses doigts pour examiner avec soin les quatre enfants qui figuraient en arrière plan. Montés dans la nacelle, ceux-ci souriaient en saluant de la main. Le parapsychologue montra alors la coupure du journal au policier en disant:

- Le plus grand des garçons s’appelait Peter n’est-ce pas ?

- Je l’ignore professeur ; il faudrait lire l’article.

- C’est que je ne peux lire sans mes verres lui répondit ironiquement l’illettré.

Le policier prit donc le papier que lui tendit rapidement Paichel pour ensuite lire le petit article à voix basse. Puis il toussa avant de dire :

- Bien, c’est daté du 4 août 1912 et ça dit en gros que John Sonneper a inventé un ballon à air comprimé. On parle également d’une traversée éventuelle de la Manche, sans toutefois en préciser la date. On donne ici le nom des enfants. Oui, l’aîné portait effectivement le prénom de Peter. Les autres enfants avaient pour prénoms : Bruce, William et Dorothy.

- Alors je dois admettre que j’ai eu un songe puisque tout correspond exactement à celui-ci. Toutefois monsieur Gromwell, il m’en coûte énormément de préciser que ces enfants ont été assassinés.

- Écoutez professeur, la police sait parfaitement que ces enfants ont été victimes d’enlèvement ou pire encore d’un assassinat. Lorsqu’un journaliste a découvert que John Sonneper venait de mourir dans un sanatorium de France, nous avons demandé à la police française d’enquêter sur les enfants qui devaient être non plus en Écosse mais en France en compagnie de leur oncle.

- Monsieur l’agent, ce n’est pas en France ou en Écosse que se trouvaient les malheureuses victimes, mais ici même dans le Dorset. J’ignore où exactement ce voisin a enterré ses victimes puisque le songe n’a rien voulu me révéler à ce sujet.

- De quel voisin parlez-vous professeur lui demanda le policier excité par tant de mystère.

- D’un voisin qui désirait s’approprier les terres et le cottage des Sonneper.

Paichel raconta son rêve dans les moindres détails et le policier le fixa alors d’un air arrogant. Le pauvre professeur se fit saisir par le collet de chemise et l’autre lui dit en grinçant des dents :

- Non, vous voudriez insinuer que mon père serait un assassin ? C’est lui qui a acheté la propriété des Sonneper.

Le parapsychologue s’épongea le front dès que le policier le lâcha à cause de l’arrivée d’un autre policier. Paichel s’empressa de dire au bourru personnage :

- Mais je n’accuse pas du tout votre père monsieur l’agent ! Je vous ai simplement mentionné qu’un voisin désirait s’approprier les biens des Sonneper. Un voisin ! Il y a toujours plusieurs voisins dans le “voisinage” n’est-ce pas et qui pourraient fort bien correspondre au “voisin” en question...

- Sortez d’ici avant que je vous enferme pour avoir porter de fausses accusations sur un homme qui n’est plus de ce monde pour s’en défendre.

- Je m’en vais monsieur Gromwell mais mille pardons de vous avoir...

- DEHORS... SALE ÉTRANGER DE MALHEUR...

Le professeur fuit les lieux sans plus de cérémonial. Il marcha d’un pas rapide jusque chez lui. Il se disait à haute voix : “Ça m’apprendra à me fier aux bonnes intentions des gens. Ce policier a un père assassin mais il préfère sauver son honneur familial plutôt que de rendre justice à ces enfants. Puis entre toi et moi Paichel, qui est allé annoncer la mort des enfants au pauvre Sonneper si personne ne devait savoir où ceux-ci se trouvaient exactement? Cet infirmier était de toute évidence l’un des complices du voisin Gromwell ! Il lui était facile de connaître l’état de santé de Sonneper et ainsi, informer son complice que le malade laisserait bientôt ses biens à quatre jeunes héritiers. Je me demande bien pourquoi je n’ai pas choisi le métier de policier, sacré nom d’un chien.”

Le parapsychologue savait qu’il ne pouvait se substituer aux autorités pour éclaircir cette affaire qui datait d’une quarantaine d’années. Il pouvait cependant tenter de libérer ces enfants de leur prison terrestre. Les esprits frappeurs prenaient possession de la maison dès que sonnait le dernier coup de minuit.

Le soir venu, Paichel s’installa sur une vieille chaise berçante et fuma sa pipe en attendant l’arrivée de ses invités invisibles. Une horloge installée au-dessus du foyer par notre homme indiquait à présent vingt-trois heures cinquante-neuf. Paichel fixa froidement un coin du mur pour assister à l’entrée des quatre ombres noires. Elles longèrent le mur du foyer et disparurent ensuite dans celui-ci. Un vent referma la fenêtre avec fracas et la chaise berçante bascula par derrière. Paichel se retrouva sur le plancher, étendu entre son lit et une grosse commode qui datait du début du siècle. Elle glissa rapidement vers lui dans le but de l’écraser mais le professeur fuit sous le lit. Les esprits cherchaient un moyen de faire fuir ce propriétaire un peu plus tenace que les autres. Le lit se mit à circuler dans la pièce mais Paichel agrippé au sommier ne tenait pas du tout à perdre son bouclier. Des objets étaient projetés sur le lit sans toutefois parvenir à déloger notre pauvre homme de sa cachette. Les bruits devinrent à la suite de véritables cris stridents, comme si les esprits désespérés cherchaient à intimider l’intrus par la peur. Mais Paichel ne craignait sûrement pas de tels cris d’horreur. Il connaissait tous les “trucs des esprits”.

Après plusieurs heures, les esprits se calmèrent et le professeur sortit prudemment de sa cachette, non sans savoir que ses invités ne quitteraient la place avant l’aube. Pour cette raison, il s’empara du matelas afin de s’en servir comme paravent. Puis il cria froidement :

- Je sais que vous êtes encore ici bande de petits garnements. Toi Peter, je te prie de bien vouloir dire à Bruce, William et enfin à Dorothy de m’écouter tout comme tu vas devoir le faire. Je veux vous entendre frapper un coup sur les murs si vous êtes intéressés à avoir des “nouvelles” de votre oncle Sonneper.

Un coup sec et franc se fit entendre.

- Bon, je préfère ces bruits aux nombreux objets que vous savez si bien souffler au pauvre homme qui ne veut sûrement pas vous voler cette maison de votre oncle. Je la quitterai au matin si vous refusez mon aide. Est-ce que cela peut vous rassurer ?

- Oui.

- Maintenant je dépose ce gros matelas en espérant que vous m’écouterez sans me lancer d’autres objets les enfants. Je veux votre promesse.

- Oui.

- Parfait. Voici ce qui m’a attiré ici mes amis. Votre oncle m’a chargé de vous demander d’aller le rejoindre au ciel. Est-ce que vous êtes prêts à prendre place à bord du plus gros ballon au monde les enfants ?

- Oui... oui... oui...

- Alors voyez-vous des longues cordes d’argent ? Elles sortent de vos nombrils et semblent remonter très haut dans le ciel ?

- Oui.

- Hé bien ! Les enfants, ces cordes sont celles de votre maison nacelle. Vous êtes déjà prêts à vous élever très haut dans le firmament car le joli ballon auquel votre nacelle est reliée s’appelle : TERRE. Il va vous conduire autour du soleil et vous verrez toutes sortes d’étoiles vous saluer par leur douce lumière. Est-ce que vous voyez le ciel à présent que je viens de vous le décrire ?

- Oui.

- Ainsi mes amis, c’est le bon Dieu qui vous invite à voyager dans son univers créé pour tous les esprits de bonne volonté. Votre oncle sera fier de vous lorsqu’il vous verra venir de loin. Il peut voir la terre mais il se demande encore pourquoi les jolies cordes d’argent demeurent encore immobiles au-dessus de sa maison.

La porte du vieux cottage s’ouvrit doucement et une lumière attira par sa beauté féerique le professeur Paichel à l’extérieur. Elle vint se placer au sommet d’un arbre et notre homme vint se placer devant celui-ci à quelques centaines de mètres de la maison. Un léger tremblement se fit entendre et le regard du parapsychologue se dirigea vers ce cottage en train de s’élever lentement dans les airs.

- Sacré nom d’un chien, s’écria-t-il d’un air fasciné, les enfants ont vraiment pris le cottage pour leur “nacelle” !

- Adieu monsieur, crut-il entendre au ciel.

En effet, la maison s’éleva très haut dans le ciel et la jolie lumière la guidait comme l’étoile du berger. Paichel riait et dansait sur place en jubilant de joie. Il avait perdu sa maison mais quatre esprits venaient de quitter la terre pour un monde vraiment meilleur. Le professeur s’installa devant le trou laissé par les fondations disparues avec la maison et pipa en chantant.

Au petit jour, le professeur vit le bout d’un étrange anneau doré au fond du trou. Il s’empressa de trouver une corde afin de pouvoir descendre dans cette fosse assez profonde. Il fixa le câble autour d’un chêne situé à environ deux mètres de l’ancienne fondation. Le professeur tira sur l’anneau sans pouvoir le retirer du sol. Ce n’est qu’après avoir épousseter autour de l’objet qu’il découvrit un gros coffre en métal. L’anneau était en réalité l’une des poignées de ce gros caisson en or massif. Paichel était si excité par sa découverte qu’il chercha aussitôt à déloger son trésor en tirant de toutes ses forces sur la poignée. Il fallait évidemment s’appeler Paichel pour s’imaginer pouvoir sortir un coffre de cette taille sans d’abord creuser autour de celui-ci. Le professeur retourna fouiller dans le coffre-arrière de sa vieille BENTLEY 1929 qu’il avait d’ailleurs surnommé “PUT-PUT” et trouva une vieille pelle de jardinier. Elle n’était bonne qu’à retourner de la terre dans un pot de fleurs, mais c’était mieux que ses doigts.

- Sacré-nom-d’un-chien s’exclama le pauvre homme, c’est sans doute avec cet instrument de “fortune” que je ferai “fortune”. Si je peux déloger ce coffre avec ça Put-Put, je vais enfin pouvoir te chausser de quatre pneus neufs et te refaire une beauté. Que dirais-tu d’un beau vert olive ou bien d’un jaune citron ma vieille ?

- Paichel, lui cria sa bonne conscience, tu ne devrais pas te moquer de cette voiture qui a fait les vingt-quatre heures du Mans à sept reprises ! Tu devrais avoir honte de ridiculiser ainsi une Bentley héroïque. Connais-tu plusieurs voitures qui puissent se vanter d’avoir parcouru plus d’un million de kilomètres ?

- Oui, tu as raison; je devrais être fier de posséder une “Put-Put” infatigable.

Le farfelu professeur se mit ensuite au travail afin de déterrer ce gros coffre rectangulaire. Il était sans doute fort ancien puisqu’il y avait d’étranges écritures gravées sur le couvercle. On aurait dit des “runes” ou encore des hiéroglyphes égyptiens. Un tel coffre devait sûrement contenir un trésor mystérieux. Le travailleur excité creusait depuis quelques heures lorsqu’il réussit enfin à libérer le lourd caisson métallique. Il fixa la corde autour de celui-ci et par-dessus la branche du chêne afin de s’improviser un levier. La vieille Bentley laissa sortir un nuage de fumée de son tuyau d’échappement dès qu’elle comprit les intentions de son maître. Alors agenouillé derrière elle, Paichel reçu donc en pleine figure le “pet carbonique” et se releva en criant d’une voix indignée :

- Ainsi tu refuses de m’aider à sortir ce coffre du trou Put-Put ? Je te parie que tu as peur de perdre ton vieux pare-chocs démodé si j’y accroche le câble !

La voiture de Paichel possédait un brin d’intelligence mais la plupart du temps elle s’en servait pour forcer son maître à la défier pour tout ou pour rien. Put-Put aimait se faire polir comme un miroir chaque fois que le professeur désirait la faire rouler sur les grandes routes et exigeait d’être lavée tous les jours afin de toujours conserver sa belle apparence. Cette maniaque de propreté pouvait refuser de démarrer ou pire encore, tombait en panne si l’un de ses phares venait à être taché par un moustique attiré par sa lumière. La Bentley aurait appartenu jadis à un bourgeois qui lui aurait donné cette mauvaise habitude de se faire astiquer jusqu’à dix fois par jour. Quoi qu’il en soit, la Put-Put se sentit obligé de tirer le gros coffre hors du trou afin de se prouver à elle-même qu’elle n’était pas si vieille après tout. Son maître s’installa au volant et dès qu’il plaça sa clef dans le contact, sa Bentley se mit à faire des “vroum... vroum” étonnants. Elle était impatiente de faire la preuve de son éternelle jeunesse. En appuyant sur l’accélérateur, le professeur se sentit écrasé dans son dossier. Puis, les roues arrières grugèrent le sol un moment avant de lancer la voiture dans une course folle en face de l’ancien cottage entouré par un vaste terrain vacant. Le coffre sortit non seulement du trou mais arracha plusieurs branches du chêne avant d’aboutir finalement sur le capot de la voiture. Celle-ci freina aussitôt. Le coffre défonça l’épaisse carrosserie et même le pare-brise.

- Sacré-nom-d’un-chien Put-Put gémit alors le professeur étonné, mais tu es folle ma parole ? Regarde ta belle carrosserie à présent ?

La Bentley répondit dans son langage métallique : “Vroum-vroum-put-put... floup...” et tomba en panne. Paichel sortit rapidement de la voiture afin d’aller constater les dommages. Seuls le capot et le pare-brise étaient brisés, mais c’était suffisant pour que Put-Put refuse de bouger tant que son maître ne réparerait pas les dommages causés à sa belle “tôle verdâtre”.

- Écoute-moi bien Put-Put, lui dit son maître d’une voix désolée. Je sais ce que tu peux éprouver en sachant que ton capot et ton pare-brise sont endommagés. Mais il faudrait être logique et te demander à présent si nous devons demeurer dans ce champ ou encore retourner à Londres pour te faire réparer. Si tu préfères me faire la tête, je transporterai seul ce coffre pendant que la rouille viendra te tenir compagnie. J’ai bien l’impression que j’en aurai pour des mois à le charrier jusque chez-moi Put-Put si tu refuses de m’aider. Tu sais, la rouille ne pardonne pas lorsqu’elle commence à dévorer le bas de portes, le plancher, la valise...

La voiture fit des vroum-vroum horrifiés. Put-Put ne tenait pas du tout à finir ses jours entre les pattes de la rouille. Paichel trouva une couverture au fond du coffre arrière et s’en servit pour recouvrir son trésor. Il était inutile d’attirer les regards sur ce joli caisson en or massif. Le retour à Londres se fit de nuit et surtout par des routes peu achalandées.

Notre homme arriva au centre de parapsychologie où il logeait au sous-sol. Le professeur Paichel avait loué en réalité un ancien garage qui lui servait à la fois de logis, d’atelier de bricolage, de ménagerie, de stationnement pour sa Put-Put et enfin de salle d’exercices. C’est ainsi que des pièces d’automobiles servaient à la fois de décoration et d’accessoires de réparation pour sa voiture. Dans ce sous-sol sans cloisons, le salon, la salle à manger, le garage ou même la chambre à coucher faisaient partie d’une seule et même pièce. Le divan voisinait une cage remplie de lapins, le lit se trouvait à côté d’un établi recouvert de bric-à-brac, les altères côtoyaient la glacière et le poêle à bois, un fichier servait de boîte à pains et pour y ranger les chaussettes... propres du locataire. Il y avait même une grosse poulie accrochée à l’une des poutres du plafond qui servait d’ailleurs à sortir régulièrement le moteur capricieux de la Bentley pour être “épousseté”. Le professeur utilisa donc cette poulie pour soulever et déplacer le gros coffre d’or. Il fut enfin déposé sur une grande table encore recouverte de bandes dessinées.

C’est alors qu’un beau chien sauta sur la table afin de sentir cet étrange objet doré.

- Regarde SAUCISSE ce que je rapporte du cottage?, lui dit son maître en lui caressant sa longue crinière de couleur beige.

- Je m’en fous lui fit savoir le woodcocker en détournant son museau du coffre.

Un woodcoker est le nom anglais qui désigne un bécassier. Il s’agit d’un petit chien de chasse de la famille de l’épagneul.

Je croyais que c’était comestible ton truc!, lui dit le chien. J’ai faim et j’ai soif mon maître.

- Si je m’en souviens bien Saucisse, lui répondit Paichel étonné, je t’ai laissé de la nourriture pour au moins une semaine avant de partir pour le cottage. Ne viens pas me dire que tu as tout dévoré en deux jours n’est-ce pas ?

- Oh non mon maître, j’ai tout bouffé en deux heures, se contenta de répondre la bête amusée. J’ai faim et j’ai soif.

- D’accord Saucisse, je vais voir ce qu’il me reste dans la glacière, dès que j’aurai vu ce que contient ce coffre !

- Non mon maître, moi j’ai faim tout de suite.

L’animal sauta en dehors de la table et tourna autour de la glacière située au milieu de la pièce. Il jappa afin d’obliger son maître à s’occuper de lui.

- Bon, j’ai compris sacré nom d’un chien s’écria le professeur. Savais-tu que tu manges autant que trois St-Bernard affamés mon Saucisse ?

- Évidemment que je le sais mon maître lui répondit le chien en jappant joyeusement.

Paichel ouvrit la porte grincheuse de la glacière pour ensuite examiner les tablettes vides.

- Je ne veux pas te décevoir mon Saucisse mais tu devras attendre demain matin pour ton pâté. J’irai faire des emplettes avec l’argent que m’a remis monsieur O’Meara. Puis, si tu me laisses ouvrir ce coffre au lieu de japper, je vais peut-être y trouver suffisamment de pièces d’or pour t’acheter cent livres de belles et juteuses saucisses.

- Des saucisses ? Beaucoup de saucisses alors ? Wouf... wouf... c’est parfait.

Le professeur donna une miche de pain et un peu d’eau à son “cocker” avant de s’armer d’un marteau et d’un gros tournevis. Il s’attaqua à la serrure du coffre qui avait une forme triangulaire. C’est alors que sa conscience lui dit :

- Arrête imbécile ! Tu es prêt à massacrer ce coffre sans te demander ce qu’il peut valoir pour un antiquaire ? Et s’il est vide, qu’en feras-tu si tu lui as brisé sa serrure?

- Oui, c’est vraiment un joli coffre que j’ai là ma bonne conscience.

Le professeur s’amusa donc à étudier soigneusement la forme de cette serrure pour alors déplacer par hasard, ce triangle vers la droite. Le couvercle se releva de lui-même.

- Sacré-nom-d’un-chien, il fallait juste y penser. Voyons donc ce qu’il y a...

Paichel excité par sa découverte s’empressa de regarder dans ce coffre mystérieux rempli de livres et d’objets étranges. Il n’y avait pas d’or et encore moins de bijoux précieux dans celui-ci. Notre homme afficha aussitôt un air de déception en sortant un vieux grimoire écrit à la main et plusieurs objets démodés. Il trouva un petit fourneau noir, un corbeau empaillé, trois ballons de verre soufflé, qui se terminaient par des tubes. Puis, une douzaine de flacons remplis de soufre, de mercure, de poudre de cinabre, de grains de plomb, du sable fin, de la poudre noire et enfin, six autres onguents de différentes couleurs que le professeur fut incapable d’identifier. Il trouva également une petite marmite et deux cornues ornées de dessins. Ils montraient une pyramide en feu, une autre qui contenait un liquide, une troisième qui pouvait représenter un triangle traversé par un trait et la dernière était également présentée avec un trait noir mais dans une pyramide inversée.

Le pauvre professeur illettré se sentit fort désappointé par ses découvertes. Il examina le grimoire écrit à la main et relié par des lanières de cuir, sans pouvoir en deviner le titre. Ce livre pouvait sans doute représenter une quelconque valeur monétaire, mais le coffre cependant, devait bien valoir des milliers de livres sterling. Paichel alla se coucher en espérant trouver un antiquaire qui serait assez honnête pour lui acheter son trésor sans chercher à exploiter sa crédulité. Le professeur s’endormit rapidement.

Il était peut-être quatre ou cinq heures du matin en ce vendredi brumeux, lorsqu’un mystérieux personnage s’approcha du lit du professeur afin de le regarder dormir un long moment. Puis se mouvant lentement au-dessus du plancher de béton, le FANTÔME se dirigea vers le coffre vide et le caressa d’un air ému. Le vieil homme à l’allure pacifique ressemblait à un moine du moyen âge. Il toucha plusieurs objets que contenait le gros coffre d’or et caressa ensuite le vieux grimoire en opinant de la tête. On aurait dit que ce fantôme désirait simplement revoir des objets lui ayant déjà appartenu ou du moins, qui lui étaient familiers. Puis, il disparut en emportant le coffre. Entre ses bras, il paraissait aussi léger qu’une plume de colibri.

Le pauvre professeur Paichel s’écria en se levant dès l’aube :

- Le coffre, on a volé mon trésor. Mais quelle sorte de chien de garde es-tu donc Saucisse pour laisser des voleurs entrer ici comme dans un moulin ?

- Mais je suis aveugle mon maître gémit alors la pauvre bête en pleurnichant.

- Pardonnes-moi de ce manque de délicatesse s’empressa de lui dire son maître à présent agenouillé devant lui. Tu comprends, nous venons de perdre une véritable fortune et ça m’a terriblement frustré.

En effet, le chien fidèle du professeur était aveugle. Son ancien maître s’en était débarrassé dans une ruelle jusqu’au moment où Paichel le découvrit près des boîtes à ordures d’un immeuble à logement. La bête portait plusieurs marques de coups sur le crâne et vraisemblablement donnés par son ancien maître. Ce n’est que quelques jours plus tard que le professeur réalisa que ce chien était aveugle. Il le trouvait maladroit puisque la pauvre bête butait partout dans son logis et renversait même son bol d’eau sans le réaliser. Paichel garda tout de même ce cocker aveugle mais dû ensuite se faire à l’idée de ne plus déplacer les objets et meubles de son logement. La bête pouvait circuler facilement dans le logis mais le professeur ne pouvait la laisser sortir.

L’homme quitta son logement pour se rendre dans un commerce du coin. Il y acheta du pain, du fromage, du pâté pour le chien de monsieur O’Meara et quelques morceaux de saucisses à son cocker, afin de se faire pardonner son emportement du matin. Paichel remonta ensuite à son bureau où l’attendait le propriétaire de l’immeuble.

- Vous voila professeur!, lui dit un rude gaillard qui tendait la main ouverte. Vous deviez me le remettre ce matin.

- Ce matin ?

-Oui, les six mois de loyer en retard voyons !

- Ah!, les six mois de loyer se contenta de répéter le professeur embarrassé. Mais si vous revenez lundi monsieur Joe...

- Ah non ! C’est fini avec moi ces vaines promesses professeur. Ma femme a réussi à me convaincre d’être patient envers un pauvre raté de votre genre. Mais, je viens de dépasser la limite de cette tolérance que j’appelle la charité afin de vous informer que si je n’ai pas mon argent dès lundi matin...

- Vous l’aurez monsieur Joe lui cria Paichel indigné. Est-ce de ma faute si les clients se font rares ces derniers temps ?

- Est-ce alors de la mienne professeur ? Vous devriez sans doute changer de profession.

Lorsque le propriétaire sortit de son bureau en replaçant sa cravate, le professeur en profita pour lui faire une grimace, digne d’être considérée comme une réaction de frustration enfantine. Paichel s’empressa de refermer sa porte en la faisant claquer et vint ensuite se laisser choir sur sa grosse chaise de thérapeute. Celle-ci céda afin d’ajouter une autre déception au pauvre homme à présent étendu derrière son bureau.

- Sacré-nom-d’un-chien, cria le malheureux en se redressant nerveusement, je ferais mieux de retourner cette maudite chaise là où je l’ai trouvée dans un dépotoir avant de me casser le cou.

Le professeur ouvrit ensuite la fenêtre, regarda en bas pour être certain de ne blesser aucun passant et fit ensuite basculer sa grosse chaise par-dessus le large rebord de sa fenêtre. Elle fit un bruit respectable en s’écrasant sur le pavé. En jetant un coup d’oeil sur son travail, Paichel vit alors un billet de banque voltiger au-dessus des décombres. Il s’empressa de descendre un escalier de service en se laissant glisser le long de la rampe pour enfin atterrir dans le hall de l’immeuble ancien. Il sortit en trombe dans la ruelle uniquement fréquentée par les chats de gouttières pour finalement attraper au vol ce joli billet vert. Le professeur découvrit ensuite une liasse de gros billets de cent dollars américains juste sous les restes du dossier fendu en deux.

- C’est incroyable, s’écria l’homme en s’empressant de les compter. Deux, cinq, neuf, douze, dix-sept, dix-huit, dix-neuf et vingt ! Ça me fait deux mille dollars. Tu parles d’un beau cadeau sainte Providence !

Paichel chercha d’autres billets dans la chaise mais c’est tout ce qu’elle cachait en argent. Le professeur venait de découvrir la cachette secrète d’une personne qui croyait sans doute plus sécuritaire de dissimuler son argent dans ce meuble plutôt que de le déposer à la banque. Paichel a trouvé cette vieille chaise dans un dépotoir mais, il était loin de se douter qu’elle puisse contenir une “jolie surprise”. Il est possible de croire que cette vieille antiquité devait appartenir à une personne qui serait morte avec son secret. On sait d’ailleurs que certains ont cette mauvaise et imprudente habitude de cacher de l’argent un peu partout pour ensuite oublier leurs cachettes.

Quoi qu’il en soit, cet argent fut bienvenue pour le professeur Paichel. Il s’empressa d’aller en remettre la moitié à son propriétaire afin de lui rembourser les six mois de loyer. L’autre lui répondit en souriant :

- Hé bien professeur ! Vous avez enfin hérité de votre oncle qui devait vous léguer un gros héritage?

- Oui, j’ai en effet hérité de mon oncle monsieur Joe, lui répondit Paichel d’une voix hésitante. Mais le notaire qui est venu me voir juste après votre départ m’a remis une partie de mon héritage pour que je puisse vous rembourser ma dette. Comme ce notaire vient des États-Unis, vous comprendrez qu’il n’a pas jugé utile de m’apporter des coupures en livres sterling n’est-ce pas ?

- Oh, mais c’est très gentil à vous d’avoir pris cette dette vraiment à coeur monsieur le professeur. J’espère que vous vous plaisez toujours dans votre logis ?

- C’est que je n’ai plus d’eau courante depuis déjà deux mois vous savez ?

- Plus d’eau ? Mais il fallait me le dire professeur.

- Mais je suis venu vingt fois vous en informer monsieur Joe !

- Vraiment ? Je ne m’en souviens plus ; je dois perdre la mémoire ma parole ! Mais soyez assuré professeur que cette eau de malheur sera revenue avant midi.

- Vous êtes vraiment fort aimable monsieur Joe.

Le professeur fit ensuite ses emplettes sans se soucier du prix des aliments. Il s’acheta des filets mignons, du bon vin, de la bière, du sucre et bien d’autres choses comme si l’argent ne pouvait demeurer bien longtemps dans ses poches.

Vers les cinq heures du soir, monsieur O’Meara vint déposer une boîte devant la porte du parapsychologue et disparut rapidement au bout du corridor. Une voix criait dans le gros caisson en carton :

“Mieux vaut être un Lord emboîté
Qu’un chien attaché”

“Maudit soit le métier de pâtissier
Lorsqu’il se pratique par un empâté”

“Quel est le sort le plus cruel pour l’humain
Sinon de devoir vivre dans la peau d’un chien”

“Il vaut mieux être un heureux déshérité
Que de vivre avec ses désirs irrités”

Le couvercle de la boîte se releva dès qu’apparut la tête d’un fort joli chien, coiffé d’un bonnet qui se terminait par un gros pompon rouge. Le TERRIER BLANC D’ÉCOSSE, puisqu’il en était un, sauta en dehors de la boîte afin de se secouer et de s’étirer le dos avant de japper. Le professeur ouvrit la porte pour aussitôt chercher d’un regard amusé ce chien qui lui tendit la patte en disant :

- Veuillez excuser mon maître pâtissier cher associé ; il m’a prié de bien vouloir vous demander l’hospitalité pour quelques années... sans doute.

- Hé bien ! S’exclama Paichel qui s’empressa de lui serrer la patte, vous êtes le chien de monsieur Brian O’Meara ?

- Lord Walter Bacon en personne mon cher monsieur. Puis-je vous prier de bien vouloir m’inviter à entrer professeur afin de discuter “d’association”?

- De quoi?... Bien entrez, je vous en prie. C’est votre boîte que je vois là Walter?

Le professeur traîna celle-ci à l’intérieur de son bureau pendant que le chien blanc alla s’installer confortablement sur le gros secrétaire. Il laissa son nouveau maître fouiller dans le caisson en carton.

- Sacré-nom-d’un-chien, que viennent faire ces chaussettes, cette robe de chambre et ce bonnet de nuit dans cette boîte Walter?

- Je suis prêt à parier que cet imbécile a oublié ma brosse à dents !

- Votre quoi...?

- Ma brosse à dents professeur. Vous savez, ce gadget à poil qu’on s’applique sur les dents!

- Et cette pipe Walter, s’empressa de gémir l’homme découragé par les étranges habitudes humaines de son hôte, ce n’est pas la vôtre n’est-ce pas?

- Ah oui ! Je la reconnais.

- Et la litière, où est la litière ?

- Je vous en prie professeur, me croyez-vous assez dénaturé pour m’amuser à faire mes besoins dans une bassine de chien domestique?

Le pauvre professeur se redressa lentement pour ensuite se placer les mains sur les hanches en disant ainsi :

- Dois-je également présumer Walter que vous ne mangez pas de pâté à chien?

- J’en mangerai sûrement professeur si vous tenez à le partager avec moi. Je suis votre “associé” n’est-ce pas? Si vous êtes un bon maître, je serai un bon chien. À propos professeur, avez-vous songé à mon lit douillet? Le pâtissier vous a certainement avisé que je dormais trop mal sur un tapis?

- Il ne m’a rien dit, s’écria le pauvre homme. Je crois comprendre qu’il était dans son intérêt d’oublier de me mentionner que vous étiez un chien fort exigeant.

- Ah ! Ce pâtissier est moins bête que certains hommes, professeur. Mais soyez assuré que Lord Walter Bacon est un “gentleman” et non un barbare. Si vous ne possédez qu’un seul lit, nous trouverons bien une façon de nous en accommoder.

- Pas question Walter, c’est MON LIT et pas le NÔTRE. Vous dormirez sur le tapis ou DEHORS.

- Alors je n’insiste plus, cher professeur. C’est vous le “Maître” n’est-ce pas?

Le terrier blanc Écossais descendit joyeusement au sous-sol de l’immeuble en compagnie de Paichel, afin de visiter sa nouvelle demeure. Il jappa en découvrant l’état lamentable du logement.

- Mais c’est incroyable professeur comme ce lieu est dans un “ordre des plus imparfaits”.

- Et il va le demeurer ainsi Walter Bacon. Cette pièce est en désordre sans nul doute, mais elle est propre.

Le brave chien Saucisse s’approcha de Walter afin de lui flairer le derrière. L’autre s’empressa de s’en défendre en tournant autour de lui. Puis la bête indignée s’écria:

- Je regrette de devoir vous avertir professeur que je ne suis pas intéressé à ce genre de “reniflement de derrière”. Il vaudrait mieux en avertir votre chien.

- Rassurez-vous Walter, lui répondit le professeur en riant de bon coeur. Saucisse se sert de son nez pour voir qui vous êtes.

- Étrange façon de voir vous ne trouvez pas?

- Saucisse est aveugle si vous tenez à le savoir Walter. Il va vous laisser tranquille si vous cessez de le fuir comme vous le faites en ce moment.

- Parfait alors, jappa Walter en s’arrêtant brusquement.

Le chien de Paichel buta dans le fessier du terrier blanc et retira son museau en s’écriant dans sa langue animale :

- Wouf, c’est impossible de connaître son odeur Paichel ; il doit prendre son bain dans une mare d’eau de Cologne celui-là. Wouf, ça m’apprendra à mettre mon nez dans les affaires des autres...

Saucisse se mit à éternuer sans pouvoir s’arrêter. Alors, Paichel dû attirer Walter Bacon dans un autre coin en lui disant :

- Je pense que Saucisse est allergique à votre odeur Walter.

- La pauvre bête est vraiment aveugle professeur?, demanda le chien blanc qui éprouvait une certaine sympathie envers Saucisse.

- Oui, elle est aveugle Walter. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’hésite à déplacer les meubles et les objets de leurs places.

- Ainsi : Il vaut mieux ne rien voir et ainsi méconnaître Ce que d’autres voient sans pouvoir le reconnaître

- Hum, vous devez avoir raison Walter.

- J’ai toujours raison cher maître, sauf lorsque j’ai tort.

- Oui, évidemment, bon, que diriez-vous d’un bon repas Walter?

- Je prendrais bien un petit apéritif avant de manger professeur. Que voulez-vous, noblesse oblige!

- Un verre d’eau alors ! lui fit savoir Paichel d’une voix amusée. Ou peut-être bien un bol de lait orné d’un zeste de citron?

- Une bière ou un verre de vin ferait bien mon affaire professeur.

- Une bière? Hé Bien , allons-y pour une bière Walter puisque j’aime bien prendre un verre de boisson en mangeant.

- Nous avons les mêmes goûts professeur.

- Vous mangez évidemment des filets mignons?

- Oui, saignant je vous prie professeur.

Le maître du chien Walter alla donc préparer le souper après avoir verser une bière froide dans un bol à soupe. L’animal s’appliqua à la boire sans faire le moindre bruit avec sa langue. C’était vraiment un chien “ayant de la classe ce Lord Walter Bacon”. Alors que le maître TRAVAILLAIT, les deux chiens s’installèrent confortablement près de la cage à lapins afin de jaser un peu.

- Tu es vraiment un Lord anglais Walter comme le prétend mon maître ?

- Ah ! Il dit vrai, même si j’ai toujours prétendu au pâtissier que j’étais simplement “possédé” par l’esprit de ce noble Walter Bacon. Ton maître m’est très sympathique tu sais Saucisse, même s’il cherche à me donner des ordres. Mais toi Saucisse, tu sembles être très bien traité par le professeur!

- Il est un excellent maître. J’aurais toutefois aimé qu’il me promène en laisse dans un parc. C’est mon rêve de pouvoir marcher sur de l’herbe et de sentir l’odeur de la nature. Le professeur croit que je pourrais me blesser en me promenant à l’extérieur du logis.

- Je vais donc parler au professeur afin de régler la situation. Il acceptera de te promener en laisse dans le parc ou bien c’est moi qui irai te faire marcher où tu veux Saucisse.

Le cocker lécha alors le front du terrier blanc Écossais afin de lui manifester sa gratitude. Walter se contenta de lui dire :

Mieux vaut savoir s’entraider entre chiens
Que d’attendre le bon vouloir des humains

Le woodcocker et le terrier blanc d’Écosse étaient devenus de grands amis. Puisque Walter était de bonne humeur, il lui prit alors la folle envie de raconter l’une de ses fables au chien aveugle. Saucisse ne pouvait refuser ce plaisir à Walter, d’autant plus que le souper n’était pas encore prêt. Le fabuliste expliqua tout d’abord à son ami quelque peu ignorant, que les fables étaient des histoires, des contes ou bien des récits qui contiennent souvent des messages, des vérités et des enseignements de toutes sortes. Walter lui proposa donc une fable qui avait comme sujet : LA JUSTICE.

- Ma fable, dit-il, parle d’un pauvre dindon qui a échappé de justesse au massacre de ses confrères à la veille de l’action de grâce. Tu sais Saucisse que les hommes tuent des milliers de dindons pour cette fête ! Mais cela me rappelle que les victimes qui meurent à la guerre ou encore dans les plus grandes des misères sont également des dindons qui servent à nourrir le “gros appétit des Grands de ce monde”. Cette fable s’intitule :

LE DINDON DE LA FARCE

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